Soutenance de thèse OPUS - « Les sphéroïdes au Paléolithique ancien en Europe et Afrique"
OPUS a le plaisir d'annoncer la soutenance de thèse de Julia Cabanès le 15 décembre 2023 : « Les sphéroïdes au Paléolithique ancien en Europe et Afrique : étude comparative et intégrative d’objets emblématiques et énigmatiques »
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Le 15 déc. 2023
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14:00 - 16:00
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Institut de Paléontologie Humaine (1 rue René Panhard, 75013 Paris)
Résumé de la thèse
Les polyèdres, sphéroïdes et bolas (PSBs) sont des objets en pierre énigmatiques cubiques à sphériques, présents dans les séries archéologiques pendant deux millions d’années. Ils comptent parmi les plus anciens objets en pierre manufacturés par les homininés et leurs fonctions restent mal connues. Curieusement, les PSBs sont très communs en Afrique et en Asie, mais presque absents en Europe.
Les objectifs de la thèse sont de mieux comprendre les modes de production et d’utilisation de ces objets, ainsi que les raisons de leur rareté en Europe. Ces problématiques ont été abordées par une large étude comparative et intégrative en combinant des données archéologiques (analyse technologique, tracéologique et métrique d’un corpus de 513 PSBs provenant de neuf assemblages d’Europe et d’Afrique du Nord, datés entre 1.78 et 0.169 Ma), expérimentales et ethno-historiques.
Ainsi, un référentiel de traces expérimentales inédit a été construit dues à la production et à l’utilisation des PSBs dans différentes activités. La combinaison de ce référentiel à l’étude tracéologique du corpus a permis la création d’une clé d’identification des potentielles fonctions des PSBs au cas par cas. Les PSBs ont pu avoir des fonctions variées, voire plusieurs fonctions selon les pièces : par exemple, certains ont pu servir dans des activités de percussion (active ou passive) et/ou avoir été des nucléus. Des roches « dures » ont été systématiquement sélectionnées pour produire les PSBs, probablement pour les utiliser dans des tâches demandant une résistance à des chocs violents. Le silex a quant à lui été évité durant près de deux millions d’années. La rareté des PSBs en Europe du Nord-Ouest pourrait ainsi être le fruit d’une combinaison de facteurs environnementaux, culturels et fonctionnels : l’abondance de silex dans l’environnement a pu orienter la production lithique vers l’exploitation de roche siliceuse (ce qui est à la fois une adaptation à l’environnement et un choix, puisque d’autres matériaux étaient aussi disponibles), résultant en des assemblages généralement en silex, d’où les PSBs sont absents, puisque le silex était systématiquement évité pour leur production, certainement dans un but fonctionnel (e.g. percussion).
Un paradoxe a été mis en évidence entre la complexité de la manufacture et l’efficacité des PSBs dans les activités testées expérimentalement : en effet, les PSBs sont très complexes à produire mais ne sont pas plus efficaces qu’un simple galet. Cela pourrait suggérer un recyclage opportuniste de « préformes » de PSBs (e.g. nucléus) comme supports dans certains cas. Un léger avantage ergonomique a tout de même été noté pour le cassage d’os afin d’extraire la moelle. Une classification des PSBs allant au-delà des critères morphologiques a été mise en place, prenant en compte les modes de production de ces objets et leur potentielles fonctions. La forme finale est également considérée mais dans une perspective ergonomique, tout en prenant en compte l’influence potentielle des types de support et de matières premières sur la morphologie finale de l’objet.
Le bilan de cette étude a également permis d’alimenter les débats sur la présence d’objets apparemment identiques dans des registres archéologiques éloignés dans le temps et l’espace. En effet, des similitudes sont observées entre les PSBs des sites d’Europe du Sud-Ouest (PSBs des sites du corpus du Sud-Ouest de la France, mais aussi de sites d’Espagne décrits dans la littérature), ce qui pourrait suggérer une tradition régionale, une réinvention ou une adaptation de ces objets localement. Les PSBs ne représentent pas une catégorie homogène d’objets mais plutôt une grande diversité de pièces avec une forme finale cubique à sphérique. Certains ont pu changer de statuts (e.g. nucléus à outils de percussion), être diffusés, adaptés, mais aussi réinventés durant deux millions d’années, à travers tout l’ancien monde.
Polyhedrons, spheroids and bolas (PSBs) are enigmatic stone objects ranging from cubic to spherical shapes, present in archaeological records for two million years. They stand among the oldest stone artefacts manufactured by hominins, and their functions remain poorly understood. Interestingly, PSBs are quite common in Africa and Asia but rare in Europe.
The aims of this thesis are to gain a better understanding of the production and use modes of these objects and to explore the reasons for their scarcity in Europe. These issues were addressed through a comprehensive and integrative study combining archaeological data (technological, wear and metric analysis of a corpus of 513 PSBs from nine assemblages in Europe and North Africa, dated between 1.78 and 0.169 Ma), experimental studies and ethno-historical insights.
As a result, an original reference of experimental traces was constructed, comprising nearly 50,000 photographs of macro and micro-traces related to the production and use of PSBs in various activities. Combining this reference with the wear-study of the corpus allowed for the creation of an identification key for potential functions of PSBs on a case-by-case basis. PSBs could have had various functions, even multiple functions according to the pieces.
For example, some could have been used in percussive activities (active, passive) and/or served as cores. “Hard” rocks were systematically selected to produce PSBs, likely for tasks requiring resistance in heavy-duty tasks. Flint was consistently avoided worldwide. The scarcity of PSBs in Northwestern Europe could be a result of a combination of environmental, cultural and functional factors : the abundance of flint in the environment may have orientated lithic production towards the exploitation of siliceous rocks (both as an environment adaptation and a choice since other materials were also available), resulting in predominantly flint assemblages where PSBs are missing, given that flint was systematically avoided in their production, probably for functional reasons (e.g. percussion).
A paradox emerged between the complexity of manufacturing PSBs and their efficiency in the experimentally tested activities. PSBs are challenging to produce but not more effective than simple pebbles. This could suggest opportunistic recycling of PSB “preforms” (e.g. cores) in some cases. However, a slight ergonomic advantage was noted for bone breakage to extract marrow.
A classification of PSBs beyond morphological criteria was established, considering the production modes and potential functions of these objects. The final shape was also considered from an ergonomic perspective, while accounting for the potential influence of the types of support and of raw materials on the final morphology.
The study’s findings also contributed to discussions about the presence of seemingly identical objects in distant archaeological records across time and space. Similarities were observed among PSBs from sites in Southwestern Europe (including those in the corpus from Southwestern France and sites in Spain described in the literature), suggesting a regional tradition, a reinvention or adaptation of these objects locally. PSBs do not represent an homogeneous category of objects but rather a wide diversity of pieces with a final cubic to spherical morphology.
Some pieces may have changed their status (e.g. from cores to percussive tools), been spread, adapted, or even reinvented over two million years throughout the Old World.
Membres du jury
Sylvie Beyries, directrice de recherche émérite (CNRS, Université Côte d'Azur) - Rapportrice
Robert Sala Ramos, professeur (IPHES) - Rapporteur
Deborah Barsky, maîtresse de conférences (IPHES) - Examinatrice
Radu Iovita, professeur tenure (Université de New York, Universität Tübingen) - Examinateur
Marie-Hélène Moncel, directrice de recherche (CNRS, MNHN) - Directrice de thèse
Javier Baena Preysler, professeur (Université Autonome de Madrid) - Co-directeur de thèse
Antony Borel, maître de conférence HDR (CNRS, MNHN) - Co-encadrant
Antoine Lourdeau, maître de conférence (CNRS, MNHN) - Co-encadrant